Un peintre (Zef Heyst) tente de ramener Ellen disparue. Il en avait fait son modèle – une présence qu'il s'efforçait de convertir en objet. La disparition d'Ellen n'est que la manifestation de l'absentement qu'opère la peinture : le modèle comme inversion du rapport entre l'image et le réel, celui-ci n'étant plus qu'un instrument, un point de départ au service de l'originalité du tableau. Mais comment faire revenir la chair avec des pots de pigments ? Telle est la moralité de ce petit livre qui se déchire de lui-même : l'art ne sauve pas. Vains sont ses exercices de résurrection. Le bouche à bouche s'épuise contre les lèvres d'une statue. Tout juste peut-il faire signe vers ce qui lui échappe. Sitôt qu'il croit s'en emparer, il se piège à ses propres leurres, et ses incantations deviennent «comme une langue qui s'avalerait elle-même ». Sans doute sommes-nous des animaux de parole, et seul ce qui est vivifié par la parole entre dans une plénitude de vie. Mais la nôtre n'est pas le Verbe sauveur. Elle n'a de vérité que dans sa défaillance – prière ou cri.
Alain Bonfand est professeur d'esthétique et de théories de l'art à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris.